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Article rédigé par le Frère Robert Schieler, ancien Supérieur Général de l’Institut des Frères des Écoles Chrétiennes de 2014 à 2022.

Le nouveau pape Léon XIV n’est pas étranger à notre Institut ni aux Frères.

En 2014, les Frères des Écoles Chrétiennes ont tenu leur 45e Chapitre général à leur Maison Généralice à Rome. L’objectif d’un Chapitre Général est de procéder à une évaluation périodique de l’Institut, de poursuivre son adaptation et son renouveau, d’établir des orientations pour cette adaptation et ce renouveau, et d’élire le Frère Supérieur et les Conseillers Généraux.

Pendant la phase initiale d’un Chapitre, une retraite est organisée avec un animateur invité. Cette retraite permet aux délégués du Chapitre élus de suspendre leurs routines habituelles, de prendre du recul, de respirer profondément et d’entrer dans une période de discernement spirituel pour se préparer aux décisions importantes qu’ils prendront lors de la fin du Chapitre. En se plaçant en présence de Dieu, ils espèrent entendre collectivement la voix de l’Esprit Saint et mieux comprendre et répondre aux besoins de l’époque.

La personne choisie pour animer la retraite de trois jours en 2014 était un bon ami du Frère Álvaro Rodríguez, Supérieur général des Frères à l’époque. Cet ami était le Père Robert Prevost, futur pape Léon XIV et ancien Prieur Général des Augustins. Leur amitié s’est développée alors qu’ils dirigeaient respectivement leurs familles religieuses. À l’époque, le Frère Álvaro servait deux mandats en tant que président de l’Union des Supérieurs Généraux (USG), étant le premier religieux non ordonné à occuper ce poste. Avant son élection, tout candidat pour ce poste devait être prêtre. En remémorant ce temps avec le Père Prevost, le Frère Álvaro a déclaré : « Je me souviens de lui comme d’un religieux amical, toujours proche, avec une profonde spiritualité et une grande disponibilité ».

Le Frère Álvaro se souvient également : « Je me rappelle particulièrement notre participation au Synode sur la Nouvelle Évangélisation en 2012 ». Lors de ce synode, les Supérieurs Généraux élus étaient autorisés à intervenir. La présentation du Frère Álvaro portait sur les jeunes et la nouvelle évangélisation, tandis que le thème développé par le Prieur Robert Prevost concernait les caractéristiques de la nouvelle évangélisation.

Ce qui suit est une description de la retraite de 2014 animée par le Père Prevost pour les Frères, basée sur mes notes et souvenirs. Peut-être offrent-elles des aperçus sur la spiritualité, les priorités et la vision du pape Léon XIV pour l’Église et son pontificat.

Dans ses remarques introductives aux délégués du 45e Chapitre général de 2014, le Père Prevost a suggéré que la tâche des délégués était d’explorer une vision plus large, une raison d’être à ce Chapitre Général. Pour aider ceux d’entre nous présents au Chapitre à explorer cette vision plus large, il a offert six conférences au cours des trois jours. Cette « exploration de la vision plus large » a incité un délégué à demander : « Les résultats seront-ils ceux de la continuité ou du changement ? ». En regardant autour de l’Aula Magna, il se demandait si ce groupe d’hommes, dont beaucoup dans la cinquantaine, la soixantaine, la septantaine, et certains même dans la quatre-vingtaine, était capable de risquer le changement ? Le Frère a demandé : « Pouvons-nous imaginer l’Institut de manière nouvelle et différente ? ».

Le thème de la conférence d’ouverture était : « Seigneur, apprends-nous à prier ». Le Père Prevost a commencé par ces mots de Jésus dans l’Évangile de Marc (6:31) : « Venez à l’écart dans un endroit désert, et reposez-vous un peu ». Jésus, a-t-il dit, nous dit de ne pas accumuler de mots lorsque nous prions. Au contraire, nous devons vider notre esprit de mots et ouvrir notre cœur à la Parole de Dieu. Il nous a également rappelé l’aridité de la prière, si fréquente dans la vie de ceux qui cherchent à être en présence de Dieu. Lorsque cela se produit, comment devons-nous réagir ? Il a suggéré Mère Teresa de Calcutta comme un bon exemple. Dans ses mémoires privées, elle parlait de la sécheresse de sa vie de prière sur une période de 30 ans. Pourtant, elle persévérait à se placer quotidiennement en présence de Dieu. Peut-être, comme d’autres religieux, le Père Prevost réfléchissait-il à ses propres périodes d’aridité, faisant confiance à la présence constante de Dieu en temps d’absence perçue.

Il a conclu ses remarques introductives en proposant plusieurs passages des Écritures pour notre prière et réflexion personnelles, en particulier en temps d’aridité :

  • « Maintenant, que puis-je attendre, Seigneur ? Mon espérance est en toi. » (Psaume 39:8-9)
  • « Ecoute ma prière, o Éternel ! et prête l’oreille à mon cri ; ne sois pas sourd à mes larmes, car je suis un étranger, un hôte, chez toi, comme tous mes pères. » (Psaume 39:13)
  • « Oui, c’est en Dieu que mon âme se confie ; de lui vient mon salut. » (Psaume 62:2)
  • « Les bontés de l’Éternel ne sont pas épuisées, ses compassions ne prennent pas fin ; elles se renouvellent chaque matin. Que ta fidélité est grande ! » (Lamentations3:22-23)

Le thème de la conférence du deuxième jour était : « Où es-tu, Dieu ? ». Les commentaires du Père Prevost se concentraient sur notre vie de foi et ces moments où nous doutons de cette foi. Il a partagé un commentaire d’un de ses confrères :

« Nous sommes un peuple de Pâques, mais nous vivons dans un monde du Vendredi Saint ». Il a suggéré que peut-être plus d’entre nous vivent dans un monde du Samedi Saint, qui est un temps intermédiaire, un temps de transition. Plus tard, dans notre petit groupe, un délégué a suggéré que nous, en tant que Frères au Chapitre et Frères en général, sommes dans les trois lieux du Mystère pascal ; certains d’entre nous vivent le Vendredi Saint, d’autres le Samedi Saint, et d’autres le Dimanche de Pâques.

Cette année-là, en 2014, les Frères célébraient un moment significatif dans la vie de l’Institut naissant. Trois cents ans plus tôt, en 1714, De La Salle a vécu sa propre

« nuit noire de l’âme », se retirant de la mission à Paris et arrivant finalement à l’ermitage au sommet de la montagne à Parménie, au-dessus de la ville de Grenoble. À cette époque, De La Salle croyait qu’il était une source des problèmes que les Frères rencontraient avec les autorités ecclésiastiques et civiles. Il sentait également qu’il avait perdu la confiance de certains Frères. Par conséquent, il pensait qu’il valait mieux se retirer de ces tensions, visitant les Frères dans le sud de la France avant de se rendre à Parménie et à la solitude. Finalement, les Frères à Paris, dans une lettre puissamment rédigée, ont ordonné à De La Salle, en vertu de son vœu d’obéissance (et avec l’encouragement de « Sœur Louise »), de retourner à Paris et de reprendre la direction de l’Institut.

En faisant référence à cet événement, le Père Prevost a demandé : « Qu’est-ce que nous voudrions écrire aujourd’hui, surtout si nous voulions réécrire la lettre des Frères à De La Salle ? ». Quelle est l’histoire que nous voulons laisser derrière nous pour les autres ? Comment avons-nous vécu notre relation avec Dieu dans la partie la plus intime de notre être ? Un délégué au Chapitre a réfléchi : « Une pensée valable à considérer. Mais une lettre à qui ? Qui rappelons-nous ? Et à quoi sommes-nous appelés ? ».

Le thème de sa troisième conférence était « Dieu est dans l’histoire, notre histoire ». Il a commencé en parlant de la mémoire, le lieu où nous commençons à trouver Dieu dans notre vie. Rappelons la liturgie eucharistique où le prêtre dit : « Faites ceci en mémoire de moi ». En se référant de nouveau à la lettre des Frères à De La Salle, le Père Prévost a suggéré que nous écrivions notre propre histoire de la manière dont Dieu agit dans notre vie, l’histoire que nous voudrions laisser derrière nous pour les autres. Comme les romans, a-t-il poursuivi, les journaux/mémoires ont un thème. Quel est notre thème personnel qui décrit notre vie de Frères religieux aujourd’hui ?

Pendant la conférence, le Père Prévost a cité son propre charisme augustinien :
« Que je me connaisse moi-même afin que je te connaisse, ô Dieu » (Saint Augustin). Ici, a-t-il dit, un mémoire ne porte pas essentiellement sur moi, sur nous, mais sur la relation de Dieu avec nous ; Dieu demeurant dans la partie la plus intime de notre être. Dans cette perspective, le Père Prévost a suggéré que les délégués du Chapitre fassent une réflexion et une évaluation consciencieuses du passé, croyant qu’une telle réflexion peut aider à construire un avenir désiré pour la mission Lasallienne.

La spiritualité de communion était le thème suivant de la conférence. Le Père Prévost a commencé par la première lecture de dimanche tirée des Actes des Apôtres 2:42-47 – « Tous les croyants vivaient ensemble, et ils avaient tout en commun ». C’est le mystère de la communion, a-t-il dit, qui contrecarre l’esprit du temps actuel, centré sur une exagération du moi au détriment du bien commun. Le grand défi pour nous aujourd’hui est de faire de la spiritualité de communion le principe directeur de l’éducation. Il nous a invités à offrir au monde d’aujourd’hui les meilleurs éléments de notre charisme : la fraternité et la vie communautaire. Il a cité le document du Concile Vatican II, Lumen Gentium, à propos de notre obligation de soulager les souffrances et la misère du monde, et l’exhortation apostolique de Saint Jean-Paul II, Vita Consecrata, nous appelant à être des experts de la spiritualité de communion :

Il n’y a qu’un seul Esprit qui, selon sa propre richesse et les besoins des ministères, distribue ses différents dons pour le bien de l’Église. Parmi ces dons se distingue la grâce donnée aux apôtres. À leur autorité, l’Esprit lui-même soumet même ceux qui étaient dotés de charismes. Donnant l’unité au corps par lui-même, par sa puissance et par la cohésion interne de ses membres, ce même Esprit produit et suscite l’amour entre les croyants. Par conséquent, si un membre souffre de quelque chose, tous les membres souffrent aussi, et si un membre est honoré, tous les membres se réjouissent ensemble (LG, n° 7).

Les personnes consacrées sont appelées à être de véritables experts de la communion et à pratiquer la spiritualité de communion comme témoins et artisans du plan d’unité qui est le point culminant de l’histoire humaine dans le dessein de Dieu (VC, n° 46).

Le dernier jour de la retraite, le Père Prévost a ouvert sa présentation avec un extrait du film Des hommes et des dieux, qui raconte l’assassinat des Trappistes français en Algérie. Le film introduisait son thème du jour : le Service à la manière de l’Évangile. Ses remarques portaient sur le leadership de service. Il a également réitéré un commentaire antérieur selon lequel notre don à l’Église, notre charisme, est notre témoignage de fraternité.

Le thème de la conférence finale était : « Le courage de rêver, le défi de la mission ». Le Père Prévost a raconté comment les délégués au Chapitre Général de sa congrégation, tenu en septembre précédent, comprenaient des participants très différents – « vétérans et nouveaux venus » – rêveurs et réalistes. De cette diversité et de ces points de vue divergents, qu’ils soient théologiques, politiques ou autres, leur tâche avait été d’explorer la vision plus large, la raison d’être du Chapitre. Il en est de même pour nous aujourd’hui. Pour réaliser la vision plus large, nous devons trouver l’unité dans notre diversité par notre ouverture à l’écoute priante de l’Esprit de Dieu.

Le Père Prévost a ensuite proposé que les délégués considèrent les éléments clés pour un institut apostolique comme le nôtre, avec une mission définie. Ces éléments clés étaient tirés de La Joie de l’Évangile du pape François : 1) comprendre et vivre une spiritualité qui répond à la soif de Dieu des gens ; 2) découvrir et vivre une spiritualité qui offre la guérison ; 3) manifester un zèle apostolique qui va vers les périphéries ; 4) et renouveler l’engagement dans l’éducation de manière à intégrer la fraternité, le service et la communauté. Enfin, il a évoqué un grand défi dans notre rôle d’éducateurs : trouver un langage que les jeunes puissent comprendre. Il estimait que notre Institut était bien placé pour aider à rendre cela possible. Dans La Joie de l’Évangile, le pape François exprimait le désir que les jeunes exercent un plus grand leadership. Le mouvement Jeunes Lasalliens de notre Institut est l’une des structures qui permettent aux jeunes d’exercer un leadership et, pour leurs éducateurs, peut être un chemin vers le langage des jeunes.

Le Père Prévost a conclu la retraite avec les lignes souvent citées de « Little Gidding », Four Quartets de T.S. Eliot : « Nous ne cesserons pas notre exploration. Et le terme de notre quête sera d’arriver là d’où nous étions partis et de savoir le lieu pour la première fois ». Et sur une note plus humoristique, il a mis fin à son temps parmi nous avec cette boutade de l’ancien Supérieur des Dominicains, le Père (plus tard Cardinal) Timothy Radcliffe : « Le sens des applaudissements : au début, un acte de foi, à mi-parcours, un acte d’espérance, et à la fin, un acte de charité ».

Ces thèmes de conférence pourraient-ils nous dire quelque chose sur la vie spirituelle du pape Léon XIV ? Sur ses rêves et son espérance pour son pontificat et pour notre monde ? Personnellement, je crois que oui. Le pape appelle les fidèles à une vie de prière, à la recherche de Dieu, à la découverte de la vocation que Dieu a pour nous à travers nos histoires et nos souvenirs, à la conviction que nous sommes tous frères et sœurs, nourrissant notre vie spirituelle par le dialogue et la vie en communauté, et à avoir le courage de rêver à un monde meilleur, malgré la fragmentation et la polarisation qui infectent notre société et nos âmes. Cela pourrait très bien être l’espérance du pape Léon pour l’humanité. C’est sa formule pour réaliser une espérance qui repose sur tous ceux qui répondent à l’appel à devenir des disciples missionnaires au service de l’Évangile. De plus, on peut considérer son choix de nom comme un indice de ses priorités. En 1891, le pape Léon XIII publiait son encyclique Rerum Novarum, plaidant en faveur de la doctrine sociale de l’Église catholique, pour la justice sociale et économique pour tous, en particulier pour les travailleurs. Il semble que le pape Léon XIV entend poursuivre l’héritage du pape François.

Peut-être, dans son espérance pour l’humanité, le pape Léon XIV prend-il également à cœur le rêve du prophète Habacuc : « la vision est encore pour un temps déterminé, et elle parle de la fin, et ne mentira pas. Si elle tarde, attends-la, car elle viendra sûrement, elle ne sera pas différée » (Habacuc 2, 2-3). C’est la vision du Règne de Dieu promise par Jésus.

C’est cette espérance et cette vision que les Frères ont recherchées lorsqu’ils se sont réunis en Chapitre au printemps 2014, adoptant le thème : « Cette œuvre de Dieu est aussi notre œuvre ».

En cet après-midi du 8 mai 2025, je crois que l’Esprit Saint a manifesté la volonté de Dieu aux cardinaux réunis dans la chapelle Sixtine, la volonté de Dieu pour l’Église et notre monde aujourd’hui. Prions pour l’ancien Bob Prevost, le pape Léon XIV, et faisons notre part pour concrétiser cette espérance et cette vision, cette invitation à vivre véritablement notre charisme et notre vocation, que ce soit par la prière, le soutien, de petites actions porteuses d’espérance, ou par tout autre moyen à notre disposition. C’est notre manière de réaliser les premiers mots publics du pape Léon au monde : « Que la paix soit avec vous tous ! ».

* Article publié sur le site web de RELAN