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Nous partageons ici le message de bienvenue du Frère Armin Luistro, Supérieur Général des Frères des Écoles Chrétiennes, adressé aux participants de la Rencontre Internationale des Jeunes Lasalliens, qui s’est tenue à la Maison Généralice le 31 juillet 2025. Le Frère Armin a prononcé ces paroles à la fin de la prière dans le Sanctuaire de Saint Jean-Baptiste de La Salle.

« Pourquoi êtes-vous ici ? Pourquoi visitez-vous notre école ? », m’a récemment demandé un jeune lasallien. La question semblait impertinente. Seuls les jeunes, comme vous êtes, peuvent poser des questions impertinentes de ce type et s’en sortir sans perdre l’air innocent. Il est rare qu’on me demande cela. J’ai eu la chance de visiter 62 pays jusqu’à présent. Le Honduras est le 62e pays de mes visites. Il me reste encore 18 secteurs à visiter avant d’achever pleinement une étape importante de mes responsabilités.

Mais au fil de mes visites, il est très rare qu’on me pose des questions impertinentes. Alors, quand celle-ci m’a été posée, j’ai essayé d’y répondre du mieux que je pouvais. Je vais partager avec vous le contenu de ma réponse, car je crois qu’elle vous donnera une idée de ce que je pense et ressens profondément à propos de cette Rencontre Internationale des Jeunes Lasalliens. Voici ce que j’ai répondu :

« Je suis ici parce que j’ai besoin de vous voir. De vous écouter. De vous ressentir. Peut-être pour vous tendre la main pour un “high five”. Ou une salutation amicale. Et peut-être aussi avoir le privilège de vous serrer la main. Parfois, la chance de recevoir votre étreinte chaleureuse. Et, en bonus, je serais très heureux si vous me permettiez de faire un selfie avec vous. Ce serait pour moi un rappel – un rappel très solennel – que vous servir, vous les jeunes, est la raison la plus importante pour laquelle cet Institut existe. Peut-être même la seule raison pour laquelle l’Institut lasallien existe. »

Plus récemment, j’ai eu une autre rencontre presque irréelle lors d’une visite dans une école. On m’a conduit dans une classe de maternelle, accompagné de plusieurs administrateurs. Ils avaient tous l’air très strict et sérieux. En entrant dans la salle, une trentaine d’enfants s’amusaient joyeusement avec les activités du jour. Tous étaient vifs et m’ont salué avec enthousiasme alors que je passais de table en table. Tous, sauf un : un garçon de quatre ans. Il semblait absorbé en lui-même, et ni les couleurs, ni la musique, ni le bruit ambiant ne parvenaient à l’arracher à sa solitude. Au milieu du tumulte causé par notre présence intrusive, cet enfant, Sergio, s’est approché silencieusement et s’est accroché à mes jambes. Je me suis assis sur une petite chaise d’élève, à sa hauteur, et j’ai tenté de le regarder dans les yeux. Mais il a enfoui sa tête dans mon giron, et tout ce que j’ai pu entendre, c’étaient ces mots : « maman, maman ». Pendant une minute sacrée, j’ai su répondre à la précédente question impertinente. Voilà comment on se sent quand on est profondément ému. La réponse ne venait pas de ma tête, mais du plus profond de mon cœur. À ce moment-là, j’ai compris que ma vie avait un sens. Pendant cette minute, mon cœur m’a appris à voir clairement et à discerner l’essentiel. Durant cette minute sacrée, j’ai été le frère de Sergio. Mes amis, ce fut l’une des minutes les plus longues de ma vie. Et aujourd’hui encore, je souhaiterais qu’elle ait duré pour toujours. Pendant ce moment, je me suis senti vrai, profondément humain, et divinement heureux.

Aujourd’hui et dans les jours à venir, je prie pour que vous découvriez vous aussi pourquoi vous êtes ici. Devant les reliques de Saint Jean-Baptiste de La Salle, en ce lieu sacré, je renouvelle mon engagement personnel à être un frère, et un petit frère, pour chacun de vous, pour Sergio, et pour tous ceux qui sont ici. C’est mon engagement. Voilà le sens qui habite aujourd’hui mon cœur. Je fais cette promesse au nom de l’Institut des Frères des Écoles Chrétiennes, et au nom de la Famille lasallienne mondiale. Nous avons tous besoin de vous voir, de vous entendre, et – plus important encore – de vous ressentir. Il n’existe pas d’autre raison pour que cette Maison, que cet Institut, doive exister, si ce n’est pour vous, pour vous, et pour tous les jeunes que La Salle appelait « éloignés du salut ».

Chers amis, chers jeunes lasalliens, si jamais je, si jamais nous nous laissons distraire, si nous oublions de vous écouter, si nous tournons notre regard vers d’autres objectifs ou si nous vous mettons de côté, vous avez le droit de nous le rappeler. De nous dire, à nous vos aînés et responsables, l’attention, l’amour et le soin que vous méritez tant.

Je pense à Greta Thunberg, lorsqu’elle s’est adressée aux dirigeants mondiaux au siège des Nations Unies à New York. Elle a parlé avec impertinence – comme savent le faire les jeunes – sans ciller. Elle a dit :

« Tout va mal. Je ne devrais pas être ici. Je devrais être à l’école, de l’autre côté de l’océan. Pourtant, ce sont vous, les dirigeants, qui venez vers nous, les jeunes, pour chercher de l’espoir. Comment osez-vous ? … Vous nous avez volé nos rêves et mon enfance avec vos paroles creuses… Les gens souffrent. Les gens meurent. On étouffe ; il fait une chaleur accablante à Rome. Des écosystèmes entiers s’effondrent… Comment osez-vous faire semblant de croire que l’on peut régler cela en continuant comme avant ? Vous nous avez trahis. ».

Les mots de Greta Thunberg font mal, car ils sont vrais.

Chers lasalliens, en vous accueillant aujourd’hui à la Rencontre Internationale des Jeunes Lasalliens de cette année, je porte en moi la culpabilité et le poids de ma génération et des générations qui m’ont précédé. D’une certaine manière, nous vous avons trahis. Je suis désolé. Vraiment désolé. Les sociétés, les gouvernements, les dirigeants mondiaux vous ont trahis. Quel avenir pouvons-nous vous offrir ? Comment osons-nous vous appeler notre « espoir du futur » ? Nous n’avons pas cessé de polluer la Terre avec tant de déchets. Des dirigeants ont convaincu des citoyens pacifiques que posséder une arme est la meilleure défense, et qu’initier une guerre est la meilleure stratégie. Quel genre de monde vous laissons-nous ?

Chers lasalliens, je suis désolé. Nous vous avons trahis. Alors que je me tiens ici, en ce lieu saint, dans ce sanctuaire sacré, mon esprit et mon cœur pensent à Gaza, où environ 62.000 personnes ont trouvé la mort, dont beaucoup de femmes et d’enfants. Certains plus jeunes que vous. Nous avons quatre étudiantes en soins infirmiers inscrites à l’Université de Bethléem qui travaillent actuellement à Gaza, répondant aux besoins des malades et des blessés à Gaza, malgré des obstacles inimaginables qu’elles doivent affronter. Elles aussi ont une réponse existentielle à la question impertinente : « Pourquoi êtes-vous ici ? »

Mais il y a tant d’autres régions du monde où il y a plus de questions que de réponses. La dévastation et les déplacements forcés causés par le conflit en cours en Ukraine sont décrits comme la guerre la plus meurtrière en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale. Des violences indescriptibles et des crises humanitaires sont le quotidien de nombreuses régions : Soudan, Congo, Syrie, Myanmar, Yémen, pour n’en citer que quelques-unes. Aujourd’hui, selon la Banque mondiale, près de 700 millions de personnes vivent dans une pauvreté extrême, avec moins de deux euros par jour. Combien d’argent avez-vous en poche ? Et combien pourraient survivre avec ce que vous avez aujourd’hui dans vos poches ? Seigneur, prends pitié ; Christ, prends pitié ; Seigneur, prends pitié de nous.

Un mouvement réformiste multiethnique basé en Malaisie a publié, il y a à peine cinq jours, ce témoignage du Dr Ezzideen, depuis Gaza. Je lis :

« Je vous le jure devant Dieu… ce que j’ai vu aujourd’hui, ce n’était pas la vie… Un camion est passé. Il était vide. Le sol était recouvert d’une fine couche de poussière de farine. Rien d’autre. Pas de sacs. Pas de pain. Et puis je les ai vus. Ce n’étaient pas des rebelles. Ni des criminels. Juste des enfants. Ils couraient, couraient comme des bêtes traquées, vers ce camion. Ils ont grimpé avec des mains qui n’avaient jamais tenu de jouets. Ils sont tombés à genoux, comme devant un autel. Et ils ont commencé à gratter. Un couvercle cassé. Un autre, un bout de carton. Le reste utilisait les mains. Leur langue. Ils léchaient. Vous m’entendez ? Ils léchaient le sol, la rouille, la crasse. L’arrière du camion déjà parti. Un enfant riait. Pas parce qu’il était heureux, mais parce que le corps devient fou quand on a faim. Un autre pleurait en silence, comme quelqu’un qui ne croit plus qu’on puisse l’entendre. Et moi, je suis resté là. Avec toute ma honte. »

Chers lasalliens, chers jeunes lasalliens, voici le monde que nous vous laissons en héritage. Quelle honte. Récemment, j’ai adressé un message à un petit groupe de jeunes lasalliens réunis à Parménie cette année. Voici mon unique message pour vous aujourd’hui :

« Il y a environ 2025 ans, à 30 ans, Jésus a commencé son ministère avec une douzaine d’amis proches, proclamant le grand rêve du Père pour le monde : plus de larmes, la bonne nouvelle pour les pauvres, la liberté pour les prisonniers, la vue pour les aveugles, la liberté pour les opprimés.

Il y a environ 345 ans, Jean-Baptiste, à 28 ans, a réuni quelques jeunes – de votre âge ! – pour former une communauté d’éducateurs afin de proclamer ce même rêve, où les enfants, en particulier les “éloignés du salut”, pourraient entrevoir le Royaume. Il a imaginé des écoles inclusives, ouvertes à tous, surtout aux pauvres, exclus, pour dépasser les barrières sociales et économiques de leur temps. »

Dans ces deux histoires fondatrices – celle de Jésus et celle de Jean – les protagonistes n’étaient qu’un petit groupe de jeunes rêveurs, captivés par un même appel, unis d’un seul cœur et d’un même esprit pour porter lumière, vie et amour au monde entier.Aujourd’hui, pensez à la force qu’a générée leur petite communauté de jeunes aux grands rêves et aux cœurs encore plus grands.

Le monde a toujours été façonné par des rêveurs. Leur rêve ne s’est pas concrétisé par de grandes proclamations ni de faits spectaculaires, mais par de petits pas décisifs, dans la lutte pour vivre une fraternité authentique et un engagement éducatif fidèle.

Chers amis, je termine en vous posant la même question impertinente :« Pourquoi êtes-vous ici ? ».

Sanctuaire de Saint Jean-Baptiste de La Salle

Maison générale, Rome, 31 juillet 2025